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« Feu de nouvel an », Thauma, n°7, « Le feu », 2008

 

Feu de nouvel an

 

Dans la cheminée, pour faire un grand feu de nouvel an, placer du papier journal, une bonne quantité d’éphémère, de vanité bruyante. Avant de consciencieusement le chiffonner, jeter un dernier regard sur les faits divers et les unes mêlés, les photographies déjà oubliées, les titres et leurs dramatisations dérisoires. Un adieu ne s’impose pas, tout au plus peut-on recommander une conjuration subreptice : que l’insignifiance n’enveloppe pas complètement ma vie, que des pans entiers d’icelle puisse échapper à la rapacité du néant, à ses moyens d’action toujours plus pressants.

Après cette courte prière, déposer sur cette couche de journal les débris d’une cagette. Le moment est périlleux, non parce que la strate initiale est incertaine et fragile mais parce que le souvenir d’un poète jadis aimé vous assaille. Votre esprit est tenté un instant de vagabonder, de prendre le parti des choses, d’interrompre là toute besogne et de sortir dans le pré enneigé. Une rage d’expression vous donne le sentiment d’une lancette qui vous traverse la gencive. Dieu merci vous n’avez pas beaucoup de mémoire et votre esprit de raillerie vous protège des vénérations d’écoliers. Vous pouvez poursuivre votre tâche.

Sur le cageot démantibulé, vous disposez maintenant des sarments de vignes soigneusement séchés au préalable. Une rêverie biblique s’impose ardemment, des espoirs, tardifs, de vendanges. On n’est pas obligé de les accompagner d’une méditation paronyme sur les serments rompus, les promesses non tenues et autres ruptures de contrat. De toutes façons, vous n’aimez les pactes que déchirés, les fidélités cabossées, les lignes sinueuses. Vous nommez vertu d’errance votre immobilité et l’on ne compte plus les occurrences du mot nomadisme dans vos carnets secrets. Vos malles regorgent de lettres de nulle part. Vous imaginez qu’un jour on les lira. Vous aimez vous tromper. Vous appelez horizon ce vague de l’histoire que vous vous obstinez à ne pas écrire.

Congédiez vos bulles de savon et revenez aux préparatifs de votre feu. Le fagot de sarments ressemble à un berceau improvisé. Vous y déposez plusieurs bûches. Pour elles, choisir de préférence un arbre que des parents lointains ont planté, que vous avez vu grandir à vos côtés, auquel se sont accrochés des rires d’enfance, des récoltes abondantes, un de ces arbres que l’on aime un jour, que l’on néglige au nom de cette nécessité impérieuse qu’on ose appeler la vie et que l’on n’a pas vu mourir au fond du verger, à côté de la maison de la petite vieille.

Il faut des larmes amères pour faire un grand feu de nouvel an. Des larmes sèches, des ironies grinçantes. C’est à elles qu’on jette l’allumette que l’on vient de craquer et ce sont elles que l’on voit s’embraser, d’abord tout doucement, puis dans une franche flambée de joie. Activer l’autodafé, si le besoin s’en fait sentir, d’un souffle savamment orienté. Croire, un instant, qu’on est l’auteur du feu.  Puis regarder vers où il va.

 

Asquins. 1er janvier 2010.

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